Çizif se réveille en sursaut, le visage baigné de larmes. Les braises dans le foyer ne rougeoient plus.
D’un pas lourd, il descend l’escalier en spirale, les doigts contre la pierre lisse de la paroi.
En bas du phare, il compte les traits inscrits sur le mur. C’est sa dernière journée.
Ce soir, il gravera le bâtonnet final, et demain, le bateau viendra.
Saint-Dié-des-Vosges, 18 novembre 1944, 6 heures du matin
En cette matinée sombre, froide et brumeuse, trois hommes, mains en l’air, marchent en file indienne suivis par trois soldats allemands commandés par un Feldwebel.1
Les soldats venaient de les arrêter à la sortie d’un immeuble d’habitation gravement endommagé mais encore debout et les avaient obligés d’abandonner sur place les couvertures et autres objets d’utilité courante dont ils étaient chargés.
Le petit groupe s’avance vers un tas de décombres.
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Sergent ou adjudant de l’armée allemande ↩
Elle lisse de ses longs doigts les nombreux fils noirs, enchevêtrant d’une main habile les brins de coton. Elle travaille au rythme d’une horloge, chaque geste suivant le même tempo que le précédent. Ses mains dansent sur une musique familière. C’est seulement à l’arrivée du dernier brin qu’Hachiko s’arrête. Elle respire et lève les yeux. Le soleil est bien plus haut que lorsqu’elle s’était attablée à son ouvrage. La matinée se termine mais, malgré l’heure, la couleur de l’astre est douce, rehaussant le vert des arbres et brillant sur la terre humide.
Lire la suite« Monsieur ! Monsieur… ! »
J’ouvre difficilement les yeux, la lumière des plafonniers du bus m’éblouit. Je sens quelqu’un me toucher timidement l’épaule. Je me demande qui peut bien interrompre mon sommeil, alors que je n’ai quasiment pas dormi de la nuit. Je décolle ma tête de la vitre, mes cervicales douloureuses m’indiquent que ce n’était pas la position idéale pour m’assoupir…
« Monsieur, vous allez rater votre arrêt ! »
Depuis son fauteuil, la vieille dame observe le jardin par la porte-fenêtre. C’est une froide journée d’hiver. Les arbres sont nus, la terre gelée. Dans quelques jours, on lui fêtera son quatre-vingt-onzième anniversaire. Elle vit chez sa fille depuis quelques années. Elle a dû quitter le village où elle est née et où elle vivait depuis son veuvage.
La vieille dame repense à son village situé en Drôme provençale. Elle se remémore le chant des cigales et le parfum des distilleries de lavande ou de lavandin qui embaumait l’air à l’époque.
Lire la suiteBip… Bip… Bip… « La boite vocale de votre correspondant est pleine. Merci de réessayer ultérieurement ».
Je maugrée en raccrochant pour la sixième fois. Il m’avait donné rendez-vous sur la bretelle 658 de la Transcontinentale à seize heures, il est seize heures vingt.
Le froid glacial me saisit sous mes épais vêtements. Par moins vingt degrés Celsius, même les meilleures synthéfibres ne retiennent pas la chaleur longtemps. Qu’est-ce qu’il fout ? Maman m’avait prévenu que la fiabilité n’était pas son fort, mais là je me caille ! Il pourrait au moins vérifier son téléphone…
Ladislas se trompa en nouant sa cravate. Il la détacha avant de recommencer. C’était la troisième fois qu’il perdait le fil et devait tout reprendre. Pourtant, lorsqu’il s’habillait, ses gestes étaient conditionnés par l’habitude ; surtout s’agissant de sa cravate, il ne pouvait pas passer à la télévision sans être bien apprêté. Il dut se concentrer pour venir à bien de ses difficultés : devant, derrière, boucle, nœud… Une fois fini, il s’observa dans le petit miroir ovale accroché au mur décrépi de son hôtel. La confiance ne transparaissait pas de son visage allongé, ses yeux noirs trahissaient son angoisse.
Lire la suiteVoici qu’arrive la fin de l’année ; l’activité du groupe est réduite, les esprits vagabondent à l’idée de profiter sous peu d’un repos bien mérité. Les discussions vont bon train pour savoir qui préférera la mer, qui la campagne, qui la montagne, qui un bon livre, qui du bricolage… à la mer, la campagne ou à la montagne.
L’ancien du groupe, tirant sur sa pipe, pince-sans-rire, commente la situation politique, socio-économique de la ville, du pays, du monde.
Lire la suite— Nick ?
Sa voix tremblait. Vikita déglutit, elle sentait les battements de son cœur s’accélérer. Elle se retint quelques secondes avant de craquer et de réitérer son appel. Elle appuya avec force sur le bouton des communications puis s’exprima de la façon la plus autoritaire qu’elle put malgré son angoisse latente :
— Nick, tu peux arrêter de faire l’idiot et répondre steuplaît ?
BIP BIP BIP.
En quelques secondes, mon cerveau endormi oublie les délices oniriques dans lesquels il était plongé, se concentrant sur ce bruit désagréable qui emplit mes pensées et l’espace sonore.
On peut bien nous parler de progrès, d’avancement : malgré tous ses miracles, la civilisation moderne n’a jamais réussi à nous soustraire au joug du plus terrible instrument de torture — le bruit du réveil. Arraché au forceps à ses rêves par les décibels déchaînés d’une machine sans émotion, comment se comporter en humain empathique ?
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