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Silence radio

22/05/2021

Temps de lecture estimé : 28 minutes

Auteur

Isabelle

— Nick ?
Sa voix tremblait. Vikita déglutit, elle sentait les battements de son cœur s’accélérer. Elle se retint quelques secondes avant de craquer et de réitérer son appel. Elle appuya avec force sur le bouton des communications puis s’exprima de la façon la plus autoritaire qu’elle put malgré son angoisse latente :
— Nick, tu peux arrêter de faire l’idiot et répondre steuplaît ?
Silence radio. Ça y est, elle commençait vraiment à prendre peur. Tout un tas de pensées se bousculait dans sa tête, après tout, dans l’espace, la moindre inattention et c’était la fin. Son cerveau fit défiler une multitude de scénarios devant ses yeux, chacun pouvant expliquer pourquoi son petit ami ne réagissait pas ; chacun étant plus horrible que l’autre. Pourquoi l’avait-elle laissé faire des idioties sur la coque de leur vaisseau ? C’était tellement stupide.

La jeune femme mordilla l’intérieur de sa joue avant de diriger sa main vers l’interphone. Elle allait de nouveau appeler, un geste cherchant à combler son impuissance quand soudain la voix de Nick se mit à grésiller dans les enceintes du Chuzhak.
— Elle m’aime.
Vikita retint son souffle avant de lâcher froidement entre ses lèvres :
— Pardon ?
— Tu m’aimes bébé… Tu aurais dû entendre ta voix affolée. Pfffffiou, entre ça et le baptême de l’espace, je suis un homme supra-heureux.
Elle était sciée, complètement sciée. Vikita savait que son mec avait des côtés stupides, mais alors une connerie pareille, c’était une première. Elle aurait donné n’importe quoi pour l’avoir devant elle à l’instant et lui péter ses dents parfaites nichées dans sa petite gueule de beau gosse.
— Hoho… Elle boude Andreï… Je t’avais dit que c’était une mauvaise idée comme blague.
— Ne me fais pas le coup de me dire que c’est l’idée de quelqu’un d’autre et rentre de suite que je t’étripe…
— Dis donc, c’est pas fini les conneries là ? Y en a qui bossent !
La voix d’Amy retentit, coupant l’envie à Vik d’en rajouter. La jeune femme se leva pour dissiper son malaise et se dirigea vers le sas d’entrée du Chuzhak.

Elle y attendit les garçons qui rentraient de leur promenade. Lorsque la porte extérieure s’ouvrit, elle détourna la tête, ne supportant pas la vue du vide. Elle eut un frisson en imaginant qu’il n’y avait que quelques plaques de tôles entre elle et le froid glacial de l’espace. Vikita entendit que la pression du sas était revenue à la normale, elle releva la tête lorsque le mécanisme d’ouverture de la porte s’enclencha. Ses yeux croisèrent son propre reflet dans le casque de Nick, elle comprit qu’il lui parlait, mais ne distingua pas un mot dans cette bouillie de sons. Elle se mit sur la pointe des pieds pour l’aider à enlever le casque de sa combinaison puis se tourna vers la silhouette bien plus trapue d’Andreï pour faire de même. Elle évita le regard de ce dernier. Encore quelqu’un ici qui la mettait mal à l’aise, Amy pour ses réflexions cassantes, Andreï pour son mutisme. Fort heureusement, Nick parlait pour quatre.
— C’était ouf ! Tu t’imagines Viki ? Larguée dans l’espace… Rien pour te gâcher la vue. Il faut que t’essaies ! T’as pas le choix ! T’essayes ?
Elle sourit, mais ne répondit pas, préférant l’aider à enlever le reste de son matériel. Il insista et arrêta Vikita dans ses gestes en posant une main sur sa joue. Nick la caressa, passant son pouce sur ses taches de rousseur avant de replacer une de ses mèches blondes derrière son oreille droite. Il croisa son regard, conscient d’avoir toute son attention.
— Visualise toi, tout en haut de la pince mécanique du Chuz’, plusieurs mètres entre toi et le vaisseau et surtout, juste toi et l’espace. T’as déjà vu quelque chose d’aussi beau ?
Elle fit les gros yeux, il sourit.
— Je sais que t’as peur, mais avec les pieds aimantés à la carcasse, ça ne craint rien. Et puis, je serais là… S’il t’arrive quoi que ce soit… Ce qui ne se produira pas, rajouta-t-il devant l’air gêné de sa moitié.

Il se serra contre elle et embrassa sa joue de petits baisers répétés. Elle se dégagea maladroitement en l’engueulant. Il se sentit penaud, comprenant sa réticence lorsqu’elle indiqua des yeux la silhouette d’Andreï. Il était planté dans un coin et les dévisageait en silence.
— Oups, désolé mon pote… L’adrénaline, les hormones, tout ça… Enfin, je t’apprends rien.
Il fit une grimace en terminant sa phrase : un type avec une dégaine pareille, muet et qui traînait dans le vaisseau de sa mère passé trente ans avait sûrement tout à découvrir.

— Bon, vous pouvez finir de vous débarrasser tous les deux, je vais voir si je peux aller aider sur le vaisseau, dit Vikita, partant d’un pas décidé.
Le métis regarda sa Viki s’éclipser sans demander son reste, l’abandonnant à son sort. Il se tourna vers son compagnon de sortie extraspatiale. Il troquait la présence d’une jolie blonde qui le déshabillait pour se retrouver à dévêtir un gros Russe. Il sourit à cette réflexion, se disant qu’il avait rarement autant perdu au change.

Vikita se déplaçait dans le Chuzhak, elle était heureuse d’avoir pu se tirer de cette situation sans trop d’encombres. Et puis, ça fera les pieds à Nick… Elle lui en voulait d’avoir insisté devant Andreï, alors qu’il connaissait ses angoisses. Elle n’était pas du tout dans son élément dans l’espace, le comble pour une pilleuse de vaisseaux. Elle avait beau rationaliser, se dire que le risque était faible, rien n’y faisait, même pas ses connaissances en mécaniques et électroniques. Son diplôme couplé à l’obstination de Nick étaient les seules raisons pour lesquelles elle avait eu sa place sur le Chuzhak. Son petit ami avait négocié pour eux deux en mettant en avant ses compétences à elle. Sa gorge se serra à cette pensée. Vikita se demandait de temps en temps si cet enrôlement n’avait pas été un chantage. Sans l’expérience de la jeune femme, Nick n’aurait pas pu venir sur ce vaisseau, et pour ne pas briser son rêve elle avait accepté malgré la peur. Ce dernier voyait en revanche son marchandage autrement : c’était une chance de se sortir de leurs vies sans avenir sur la station Cérès. Elle soupira. Elle s’était formée pour réparer des mécanismes ou des pièces détachées depuis la terre ferme, pas en vol. Sa colère envers Nick qui lui avait fait une sale blague quelques minutes plus tôt revint.
— Merde… j’ai oublié de l’engueuler, marmonna-t-elle au milieu du couloir.
Elle entendit le vaisseau grincer, et un frisson lui parcourut l’échine. Elle se rassura en se disant qu’elle s’y habituerait sûrement un jour ; après tout, ils n’étaient là que depuis un mois. Elle accéléra le pas, préférant se concentrer sur les réparations à faire.


Le repas était un moment de partage obligatoire. C’est Katia qui y tenait, et puisqu’ils étaient tous à bord de son vaisseau, ils se pliaient à la règle. Katia avait pour habitude de les questionner sur ce qu’ils avaient fait dans la journée. Coutume inutile, c’était elle qui répartissait les tâches chaque matin. Vikita se demanda s’il ne s’agissait pas surtout de la seule manière qu’elle ait trouvée pour essayer d’entendre son fils, Andreï. En un mois à bord du Chuzhak, elle n’avait jamais entendu le son de sa voix si ce n’est à travers quelques onomatopées et grognements. Elle l’observa du coin de l’œil : elle n’avait jamais vu un type avec un physique aussi imposant. La plupart des gens avaient une physionomie bien plus longiligne à force de vivre dans l’espace. Nick en était le parfait exemple, mais la mère et le fils du Chuzhak étaient des exceptions. Le grotesque de sa silhouette était accentué par la différence entre sa tête et son corps : Andreï avait un visage de poupon, image renforcée par son crâne sans cheveux. Il essayait tant bien que mal de compenser sa petite tête en faisant pousser une immense barbe qu’il n’avait pas peignée depuis des lustres. Pour Vikita, cette dernière était plus que nécessaire. Elle tenta d’imaginer le visage de son collègue sans celle-ci, mais ce fut le moment que choisit Andreï pour croiser son regard, et elle reporta immédiatement son attention sur son plateau-repas et sa purée réchauffée.

Le dîner était un des moments favoris de la journée pour Nick et Katia, à l’inverse des trois autres membres d’équipage. L’un, puisqu’il pouvait y trouver un auditoire plus que conciliant, et l’autre parce que d’un coup d’œil elle pouvait observer son œuvre. Katia jeta un regard à la tablée : son équipe, son vaisseau, cela sonnait comme sa famille, sa maison… Elle n’était pas de ces quinquagénaires comme les autres. La petite vie sans aventure sur Cérès ne la tentait pas, surtout depuis qu’elle s’était débarrassée de son soûlard de mari il y a vingt ans de ça. Elle avait enfin pris les choses en main et avait construit un avenir pour elle et son fils par sa seule volonté. À la fleur de l’âge, elle n’était pas prête à s’arrêter sur sa lancée. Katia rit doucement face à l’émerveillement de Nick, qui ne se lassait pas de raconter son passage sur le bras mécanique du Chuzhak. Il décrivait l’immensité du vide avec un enthousiasme qui lui rappelait ses premières sorties spatiales. Elle grogna néanmoins de la remarque que Nick fit à Vikita, et intervint :
— Mal’chishka ! Arrête d’embêter ta douce, tu ne vois pas que tu la contraries ?
La capitaine du Chuzhak dévisagea Vikita. Elle n’était pas encore à l’aise dans l’espace, mais Katia espérait que cela viendrait, car elle avait mis la main sur une sacrée technicienne. Elle levait son verre, trinquant au baptême du vide de Nick quand elle fut interrompue dans son geste par les grésillements des communications générales du bâtiment. Une voix de femme se fit entendre par-dessus le bruit ambiant. Ils ne captèrent que quelques mots, parmi ceux là, « Venez me chercher » était la seule phrase cohérente.

Amy se leva en s’étirant avec lenteur, elle ressemblait à un de ses prédateurs se préparant à la chasse comme on les voyait encore dans les documentaires d’archives. La pilote avait une silhouette sèche, mais musclée, Vikita se demanda quel pouvait bien être son âge. Elle avait la force d’une jeunette, mais les cicatrices et le franc-parler d’une personne qui en a assez vu dans sa vie pour ne plus vouloir être emmerdée. Amy brisa le silence :
— Enfin du taff, c’est pas trop tôt…
Le fils et la mère se levèrent également, imités par Nick qui hocha les épaules devant l’air interrogateur de Vikita. Elle finit par abandonner son repas pour les rattraper dans le couloir. Katia donna les ordres : ils allaient suivre les coordonnées envoyées avec le message de détresse. La technicienne tiqua lorsque Katia demanda à Nick et Andreï de préparer les armes. Vik se tourna vers Amy pour chuchoter :
– On ne va pas les secourir ?
La blonde se mit à sourire avec une expression que Vikita trouva cruelle.
– Oh si, on le doit. Mais bon, ils nous donneront bien quelques bouts de leur vaisseau en échange…
Elle rajouta, devant l’air choqué de la petite nouvelle :
– Les bons comptes font les bons amis.

Les deux heures de voyage jusqu’aux coordonnées parurent longues à Vikita, qui ne cessait de se demander si des affrontements auraient lieu. Elle se sentait prise au piège d’une situation qui ne lui plaisait pas. On lui avait donné pour mission de les annoncer à l’approche du vaisseau, puis de rejoindre l’équipage pour ce que Katia avait appelé « l’abordage ». Elle put voir leur approche du vaisseau en détresse sur la caméra extérieure. Le bâtiment qu’ils venaient secourir était du même modèle que le leur, ce qui était courant chez les marchands, tout comme chez les pilleurs de carcasses dans leur genre. Vikita enclencha la communication, priant intérieurement pour qu’il s’agisse de la première possibilité.

— Ici le Chuzhak, nous avons reçu votre message de détresse, il y a quelqu’un à bord ?
Son appel ne reçut aucune réponse. Amy manœuvra pour arrimer les deux vaisseaux l’un à l’autre. Vik perçut un bruit puis une secousse, elle scruta la pilote pour voir si tout se passait bien. Cette dernière se leva, satisfaite, et se dirigea vers la sortie sans attendre la technicienne. Viki, vexée, prit une grande inspiration avant de lui emboîter le pas. Elles se hâtèrent de rejoindre leurs coéquipiers au sas. Vikita sentait que son malaise croissait, mais elle n’osait pas en toucher un mot à sa collègue. Le reste de l’équipe était prêt à l’abordage, et les deux femmes se dépêchèrent de s’équiper. Vik profita de ce moment de flottement pour faire part de ses doutes à la chef d’équipage :
— Et si c’est un piège de la part d’autres pilleurs ?
Katia sourit d’un air de défi, toute douceur maternelle ayant disparu de son regard.
– Si c’est ça, pas de pitié… On prend leur vaisseau. Comment tu crois que j’ai récupéré cette merveille ? dit-elle en tapotant avec douceur sur la carlingue du Chuzhak.
Katia observa sa jeune recrue et l’expression d’effroi qu’elle avait sur le visage, se rappelant avec tendresse ses débuts dans le monde du pillage. Elle avait été délicate elle aussi, mais ce monde l’avait endurci, elle espérait que cette première mission ferait de même pour sa technicienne. Un coup d’œil à Nick qui armait un pistolet flash-ball la rasséréna. Elle pourrait au moins compter sur le petit et la férocité du reste de son équipe pour un abordage musclé si les types résistaient. Katia se tourna vers ses subordonnés pour un dernier point :
— Bon, on connaît l’architecture des lieux. On a quinze minutes avant qu’un éventuel sabordage sur notre coque extérieure puisse se faire. S’il s’agit bien de pilleurs, ajouta-t-elle avec un regard vers Vikita. On avance vite et bien. Si les types se rendent, pas de blessés, sinon pas de quartier. On fait deux équipes à la première intersection : Andreï et Vik vous irez sécuriser le hangar ; Nick, Amy et moi on ira dans les secteurs du commandement et de l’équipage. Des questions ?
Amy, sa seconde, arma son flash-ball pour toute réponse et Katia ferma son casque, cachant son sourire. Elle sentit l’adrénaline commencer à courir dans ses veines lorsqu’elle actionna le sas du Chuzhak pour accéder à celui de l’autre vaisseau. Elle déverrouilla avec une clef la trappe d’ouverture manuelle du bâtiment puis posa sa main sur la poignée. Elle lança un dernier coup d’œil à son équipe pour vérifier qu’ils étaient en place et prêts à tirer avant d’enclencher le mécanisme.

Dès que le sas se débloqua, un grésillement insupportable se fit entendre dans ses oreilles. La capitaine ne tint pas : d’un geste sec, elle claqua sa paume contre son cou, désactivant par ce geste les transmissions. Elle fit signe aux autres de faire de même. Ils ne pouvaient plus communiquer pour l’instant, mais cela n’inquiéta pas la pirate. Elle exécuta quelques signaux de la main pour donner des ordres à sa bande. Katia se positionna sur le côté pour laisser ses deux éclaireurs sécuriser les alentours. Elle leur emboîta le pas. Ils avancèrent avec prudence mais efficacité, vérifiant les environs à chaque couloir. Personne n’était en vue.

À la première intersection, ils s’arrêtèrent. Jusqu’ici, personne ne pouvait rentrer à leur insu pour saboter le Chuzhak. Un coup d’œil sur l’atmosphère de la pièce la rassura, elle désenclencha son casque pour l’enlever, ses équipiers l’imitèrent. Au vu du manque d’opposition, elle imagina qu’il s’agissait effectivement de civils qui s’étaient réfugiés dans le quartier de l’équipage en voyant le Chuzhak arriver. Par bonté, elle se dirigea vers un panneau de communication général :
— Rendez-vous sans résistance et il n’y aura pas de blessés.
Contrairement à ses attentes, sa voix ne se fit pas entendre dans les haut-parleurs du vaisseau. Elle leva un sourcil.
– Bon, il semblerait qu’ils ont bien des problèmes de transmission. Restez prudents. On fait comme on a dit et on se retrouve plus tard.

L’équipage se sépara en deux. Nick jeta un dernier regard sur le visage un peu pâle de Vikita et lui fit un petit clin d’œil pour dédramatiser la situation. Il la vit esquisser un sourire et partit rassuré. Le métis se sentait quelque peu coupable de l’avoir emmenée dans un environnement qui la mettait mal à l’aise, mais cela ne changeait pas son avis : ils étaient mieux ici que sur Cérès.
Les trois pirates parcoururent le reste des couloirs, contrôlant chaque nouvelle porte et intersection pour ne pas se faire prendre à revers. Il n’y avait pas un chat en vue. Juste avant d’entrer dans le centre de pilotage et les quartiers de l’équipage, Katia pointa un panneau de communication, ordonnant à Nick :
— Vérifie s’il fonctionne.
Il acquiesça.
— Vik ?
Sa voix ne se fit pas entendre, le jeune homme continua néanmoins d’un air sérieux :
— Tu avais raison, Vik, c’était un piège… Ils sont là, ils sont tous là, ils en veulent à mon corps de rêve. Aide-moi !
Il finit sa tirade, exagérant à outrance sa voix. Il se retourna tout fier de lui, avant de voir Amy lever les yeux au ciel.
— Rooh, ça va, elle ne l’entendra pas de toute manière.


Vikita laissa l’armoire à glace qui lui servait de coéquipier passer devant elle. Leur mission était simple : vérifier le hangar, puis rejoindre le reste de la bande. Ses mains étaient moites dans ses gants, elle crevait de chaud dans sa combinaison et savait que l’effort physique et le stress étaient la source de ce mal-être. Ils avaient quelques couloirs à parcourir, cela lui donnait le temps de se demander ce qu’elle allait bien pouvoir faire si son garde du corps se faisait plomber. Elle avait beau retourner ça dans tous les sens, la conclusion était toujours la même : sans lui, elle était cuite.
Ils stoppèrent devant le sas du hangar. Andreï prit le contrôle des opérations et effectua une procédure de vérification de l’entrée. Il se déplaçait avec aisance pour un type aussi mastoc. Il sécurisa les angles morts des deux côtés de la porte comme s’il avait fait ça toute sa vie. La technicienne se mordit l’intérieur de la joue, réalisant que c’était sûrement le cas. Après un tour complet de la soute, Vik se rendit compte que toutes ses angoisses n’avaient pas lieu d’être : le hangar était vide de toute présence humaine. Elle se sentit rassurée.
— On devrait rejoindre les autres.

Andreï ne dit pas un mot, ce qui en soi, était normal, mais elle remarqua qu’il avait l’air absorbé par quelque chose. Elle se rapprocha et se pencha pour observer le même objet que lui. Il s’agissait d’un caisson carré de couleur noire qui lui arrivait à la taille. La jeune femme eut du mal à en identifier la matière : cette dernière lui faisait penser à certaines roches qu’elle avait pu voir sur Cérès. L’aspect de cette boîte était lisse en dehors des sigles et dessins qui se trouvaient dessus. Elle approcha encore son visage et se fit la réflexion que cet objet était diablement beau.
— J’ai jamais rien vu de pareil.

Andreï approuva d’un grognement. Elle fit le tour de l’objet, se rendant compte que la boîte était entrouverte sur un côté et qu’il suffisait de tirer légèrement dessus pour finir le travail. Ce qu’elle fit, bien trop curieuse de ce qu’elle allait trouver à l’intérieur. Elle fut déçue : le coffre était vide, de la même matière que son extérieur. L’espace d’une seconde, elle se sentit triste de ne pas avoir découvert un trésor dans ce bel emballage. Andreï s’était de nouveau enfermé dans son mutisme, ce qui l’agaça plus que d’habitude. Cette journée avait mis ses nerfs à rude épreuve et ne pas pouvoir partager ses interrogations avec quelqu’un l’emmerdait. Elle fut sortie de ses réflexions par un bruit qui la fit sursauter.
— Vik, t’es où ?
La voix féminine était crachotante, hachurée et peu compréhensible, mais elle avait néanmoins identifié la phrase qui jaillissait des haut-parleurs. Elle souffla, pour une fois contente d’entendre Amy, et précisa à Andreï :
— Ils ont réussi à réparer les com’ ! Je vais les rejoindre.

Elle n’attendit aucune validation de la part du Slave et se dirigea vers la sortie avec un soulagement non contenu. Un dernier regard en arrière lui permit de voir qu’Andreï n’avait pas bougé d’un cheveu et restait perdu dans la contemplation de cet objet unique. Elle se figea quelques secondes devant cette scène étrange, avant que le mécanisme de la porte ne se ferme. Une fois seule, elle frissonna et partit sans demander son reste.


Il n’y avait personne dans la salle de commande et de pilotage. Seules quelques lumières les accueillirent :
— Bon, c’est bien, ils doivent attendre dans le quartier de l’équipage, ça va se passer en douceur, dit Katia avec un sourire. On va aller finir la reconnaissance et enfermer tout ce beau monde, puis on reviendra ici voir ce qui cloche avec les communications et autres systèmes.
Son équipe acquiesça quand un grésillement et la voix de Vikita se fit entendre. Elle appelait Nick, et le sang de ce dernier ne fit qu’un tour. Sans en avoir la certitude à cause du bruit ambiant du message, il eut l’impression qu’elle allait mal. Il ne s’inquiéta pas des procédures ou des ordres de sa chef et fit instantanément marche arrière pour se précipiter dans le couloir. Il lança un rapide « J’y vais » et disparut. Les deux femmes se regardèrent, hébétées.
— Mais quel couillon !
— Ça t’apprendra à recruter des novices.


Nick avait beaucoup trop chaud et sa combinaison ne lui permettait pas de courir indéfiniment. Il dut ralentir pour ne pas griller ses ressources trop vite. Il continuait néanmoins à avancer d’un pas vif. Il déglutit difficilement, il avait soif. Le ton de la voix de Viki l’obsédait : n’avait-elle pas l’air en détresse ? Il n’arrivait pas à mettre le doigt sur ce qui l’avait gêné. Il se raisonna : Viki était perturbée par tout un tas de choses qu’il trouvait triviales. Il se demanda d’un coup s’il n’avait pas surréagi, puis balaya cette idée : même s’il ne s’agissait que d’une broutille, il voulait s’assurer qu’elle allait bien.
Il la vit au détour d’un couloir. Sa copine sursauta à son apparition soudaine, elle n’avait pas réussi à retenir un cri de surprise. Il fit quelques enjambées vers elle et leva ses deux mains jusqu’à son visage. Il caressa sa joue avec son gant, parcourant ses taches de rousseur comme il aimait le faire.
— Ça va ma douce ?
— Oui, dit-elle, un peu sonnée par l’arrivée abrupte.
Vikita déglutit. Son petit ami lui avait foutu la trouille en apparaissant si brusquement, elle avait du mal à recouvrer ses esprits. Nick posa ses lèvres contre son front et la serra contre lui. Avec les deux combinaisons, cet échange était loin d’être confortable, mais elle apprécia tout de même le geste. Elle soupira, se disant qu’elle retrouvait enfin le Nick attentionné qu’elle connaissait et qui lui avait manqué toute la journée. Elle se questionna pendant quelques secondes : était-ce encore une des blagues si élaborées de Nick ? La technicienne voulut lui demander pourquoi il avait accouru vers elle, mais n’en eut pas le temps, les communications générales s’activèrent de nouveau. C’était la voix de leur capitaine et le message était alarmant :
— J’aime pas du tout ce qu’il se passe ici. Il faut qu’on se rassemble.
Ils se détachèrent l’un de l’autre pour s’observer, sentant une angoisse commune naître. Nick eut un regard désolé sur le joli visage de sa moitié, avant de lui prendre la main et de l’entraîner vers la salle de pilotage.


Katia restait figée. Toute cette mascarade lui semblait impossible. Elle n’y comprenait rien. Son fusil pendait mollement dans sa main. Son cerveau ne trouvant aucune explication à cette situation, elle était incapable de bouger. Ce qu’elle avait devant les yeux n’avait pas de sens, ce qu’elle avait entendu en avait encore moins. Elle avait distingué Amy partant en courant derrière elle, mais même ça n’avait pas réussi à la sortir de sa léthargie. Elle cligna des paupières plusieurs fois, se demandant si elle dormait. Après un effort conséquent, elle leva le bras pour attraper l’image collée sur le mur. Plus elle la détaillait, plus son malaise grandissait. La prendre dans sa main ne la rendit pas plus compréhensible à ses yeux. Elle sentait ses pensées tourner en boucle sur un disque rayé, un cercle qu’elle n’arrivait pas à briser. Au fond d’elle, la capitaine du Chuzhak essayait de se raisonner : ce qu’elle avait devant les yeux n’avait aucun sens. Elle aurait pu hurler de folie. En surface, elle avait autant de réaction qu’une plante verte. Une voix la sortit de son apathie, une voix qu’elle n’entendait quasi jamais, mais qu’elle aimait plus que tout :
— Ma…man ?
Elle continua à examiner les visages imprimés sur le bout de papier qu’elle tenait fermement entre ses mains. Son angoisse monta d’un cran. Entendre son enfant aussi inquiet réveilla ses instincts maternels : elle se remit enfin en mouvement, quittant la chambre du capitaine pour se retrouver dans la salle centrale. Elle se précipita vers les communications, appuyant avec impatience sur l’émetteur pour répondre à son fils. À son grand étonnement, elle entendit aussitôt sa voix retentir dans les haut-parleurs. Elle fut soulagée de savoir qu’il l’entendrait, puis attendit une réponse de son garçon. Elle serra la photo qu’elle avait trouvée dans la cabine de l’équipage. Le silence la rendait folle, mais Katia gagna une sorte d’énergie alimentée par l’urgence de la situation. Ce qu’elle devait faire lui apparut clairement : rameuter son équipe puis se casser d’ici tous ensemble. Elle enclencha de nouveau l’interphone dans le but de donner ses ordres, des instructions qu’elle avait entendues quelques minutes plus tôt. Avec son malaise grandissant, elle prononça exactement les mêmes mots. Seule sa voix résonna dans la pièce, les communications étant toujours désactivées :
— J’aime pas du tout ce qu’il se passe ici. Il faut qu’on se rassemble.


Il n’avait jamais rien vu d’aussi fou de toute sa vie. Andreï n’avait pas pu détacher ses yeux de ce caisson. Il se demandait quel pouvait en être l’utilité. La sculpture avait été taillée si finement qu’il n’avait pas pu s’empêcher de laisser glisser ses doigts sur les dessins qui décoraient la boîte en dépit du malaise qu’elle lui procurait. S’agissait-il d’une œuvre d’art ? Auquel cas, il ne pensait pas qu’ils aient les compétences pour estimer son prix. Il avait rarement vu un matériau de cette couleur. Il n’était pas sûr que cet objet ait un quelconque intérêt financier. Qui pourrait acheter quelque chose d’apparence inutile ? Le Russe se consola légèrement à cette idée, imaginant qu’ils n’auraient pas forcément à le vendre et qu’il pourrait le garder. Il en fit le tour méticuleusement, se penchant même à l’intérieur pour chercher à distinguer des motifs. Plus il la regardait, plus il était fasciné et plus un sentiment de mal-être s’installait. Il mit ça sur le compte de l’étrangeté de l’objet.

L’homme essuya la sueur de son front avec le dos de son gant, il s’arrêta soudainement à la fin de son geste. Depuis quand s’était-il mis à transpirer autant ? Il était en nage et s’en rendait compte à l’instant. Il se tourna pour scruter derrière lui, les battements de son cœur s’accélérant sans raison particulière. Tout allait bien, il était seul. Les enceintes du vaisseau bourdonnèrent et les yeux d’Andreï cherchèrent l’origine du bruit. La voix de sa mère se fit entendre, elle était inquiète et leur demandait de se rassembler. Il fronça des sourcils et se releva lentement. Il en fallait beaucoup pour effrayer sa maman. La partie de sa personnalité docile et peureuse, elle l’avait mis de côté depuis des années. La dernière fois qu’il l’avait vu comme ça était aussi la dernière fois qu’il avait vu son père. Un frisson parcourut son échine, penser à son paternel était l’unique chose qui l’angoissait encore. Il voulut s’élancer pour rejoindre le groupe, mais il n’eut pas le temps de bouger : le son d’une voix dans les enceintes le cloua au sol. Il ne comprit pas ce qu’il se passait : était-ce la voix de son paternel qu’il avait entendu ? Où était-ce la sienne ? Il se retourna pour scruter encore une fois le hangar. Il était bel et bien seul avec la boîte. Il enleva son gant pour dégager avec sa main la sueur qui coulait devant ses yeux. Il faisait si chaud, ça en devenait insoutenable. Il dut de nouveau regarder autour de lui pour s’assurer qu’il était seul. Il fut soulagé de voir que son père n’était pas là et il se dit que percevoir sa voix quelques secondes plus tôt avait été une hallucination. Sa mère l’appela par son prénom depuis les communications générales. Elle était toujours angoissée et il sentit sa gorge se serrer, il se déplaça vers le panneau des transmissions. Il se retourna plusieurs fois en chemin. Tout allait bien, il était seul avec la boîte. Il frissonna encore. Il venait de changer d’avis, finalement il faisait bien froid.

C’est un petit garçon qui appuya sur le bouton d’émission, un petit garçon terrorisé qui réclama sa maman. Pourtant, sa voix ne se fit pas entendre dans les amplificateurs du vaisseau. Il se tourna de nouveau pour regarder ce qu’il se passait dans son dos. Tout allait bien, il y avait la boîte.


Le couple parcourut quelques couloirs et arriva près de la salle principale. Katia venait d’émettre un appel pour les rassembler. À en croire le message de leur capitaine, il y avait un sacré problème. Pour que Katia soit inquiète, cela devait être grave : Vik eut peur. Ils passèrent la porte de la salle de commande avant de voir surgir Amy. Elle traversa la pièce avec hâte, courant vers eux. Elle avait le visage fermé et les fixa d’un regard implacable. Le temps de réaliser ce qu’il se passait, elle était déjà sur eux. Elle semblait possédée d’une énergie folle, ils furent surpris par la violence avec laquelle d’un geste elle les dégagea de son chemin. Ils heurtèrent la cloison d’un bruit sourd. La pilote avait fait preuve d’une force extraordinaire et ils restèrent sonnés pendant quelques secondes. Nick réussit à se remettre sur pied et tendit la main à Vik.

— Elle a un grain, celle-là ! pesta-t-il, regardant le bout du couloir par lequel la quadragénaire avait disparu avant que la porte ne se referme.
— Nick !
Il se tourna pour voir Vikita qui mordillait l’intérieur de sa joue :
— Il y a un problème.
Il se figea avant de l’observer. Il acquiesça. La peur d’avoir mis sa Viki dans une situation dangereuse le percuta soudainement. Le métis ne savait pas quoi faire devant son visage effrayé. Aucun mot rassurant ne sortit de sa tête ; il ne comprenait même pas lui-même ce qu’il se passait. Elle posa la question qui faisait mal :
— Qu’est-ce qu’on fait ?
Il jeta un coup d’œil à la pièce. Personne en vue, mais cela ne le rassura pas pour autant. Il prit sa décision et serra les dents avant d’ordonner à sa copine :
— On se casse tous les deux d’ici, fissa.
— Et les autres ?
— Je m’en tape, dit-il en attrapant avec fermeté sa main.
Vikita emboita le pas de Nick avec une once de culpabilité. Elle jeta un dernier coup d’œil derrière elle, se demandant comment Katia s’en sortait. Elle était cependant soulagée qu’ils s’enfuient. Elle suivit son homme qui essayait de les presser vers le sas de sortie. Avec leurs combinaisons et la fatigue, ils avançaient avec peine, sans compter qu’ils avaient déjà fait le chemin inverse quelques instants plus tôt. Ils entendirent une voix étrangère sortir des haut-parleurs :
— Ma… man ?
Ils stoppèrent et se dévisagèrent l’un l’autre. Ils savaient penser à la même chose, mais ils avaient du mal à accepter l’information. Il s’agissait d’une voix d’homme, et à leur connaissance, le seul qui était sur le vaisseau à part Nick était Andreï… Il était également le seul à avoir sa mère sur ce vaisseau, ce qui expliquait son appel. Ils repartirent sans un mot, choqués d’avoir été témoin de cet échange. Ce tas de muscles avait réclamé sa maman avec une voix si innocente que la culpabilité de s’enfuir les frappa tous les deux. Que s’était-il passé pour qu’il en vienne à une telle extrémité ? Quelque temps après, c’est la voix de Katia requérant son fils qui résonna. Vikita craqua :
— On ne peut pas faire ça Nick !
— Si, on peut !
— Nick, c’est… c’est horrible, on ne peut pas les abandonner, supplia-t-elle au bord des larmes.
— Qu’est-ce que tu crois qu’Amy vient de faire en courant vers la sortie Viki, hein ?
Il l’observa avec beaucoup de peine, il savait qu’il l’avait effrayée au plus haut point. Elle renchérit avec des mots qui le désarçonnèrent quelques instants :
— Nick… C’est une blague, hein ? demanda-t-elle avec espoir.
Il écarquilla ses yeux de surprise. Il n’osa pas répondre à cette question et préféra enchaîner sur l’urgence du moment :
— On perd un temps précieux à discuter, si ça se trouve le vaisseau est déjà parti !

Il lui prit de nouveau la main avec autorité et tira avec plus de ténacité que précédemment. Elle avait l’air complètement paniquée, ce qui lui donna de nouvelles forces. Nick s’en félicita, peu lui importait qu’à cet instant elle soit morte de trouille tant qu’ils avançaient assez vite pour se sortir de ce bourbier.

Ils se rapprochaient de la dernière ligne droite. Nick s’accrochait à l’espoir qu’Amy ne les ait pas trahis aussi lâchement quand ils passèrent l’ultime intersection. Le métis réalisa avec horreur que le sas était fermé, il lâcha la main de Vikita en jurant. Il courut de toutes ses forces, percutant brutalement la cloison. Il colla ses yeux contre le hublot, cherchant le Chuzhak.
— Quelle pute ! Mais quelle pute !
Derrière la porte, il n’y avait que le vide de l’espace.
Le hublot était trop restreint pour bien voir, mais il n’aperçut aucun vaisseau s’éloigner. Il scrutait l’horizon avec haine, comme si cela avait pu changer quelque chose. Le jeune homme souffla de colère, il avait du mal à calmer ses tremblements. Après un temps qui lui parut interminable, il se rendit à l’évidence : le Chuzhak ne reviendrait pas.
Il sentit une oppression croître dans sa poitrine. Ils étaient bloqués. Il regarda sans but le noir de l’extérieur. Pour la première fois de sa vie, Nick ressentit jusque dans ses os le vide de l’espace. Il tapa contre la porte, la claustrophobie l’envahissant doucement. Ils ne pouvaient pas sortir, cette idée et ses conséquences s’imposèrent à lui avec une soudaine clarté. Il ne fut plus capable de réfléchir et commença à cogner de plus en plus fort contre la carlingue du bâtiment en hurlant. Il ne sentait pas la douleur dans ses mains. Il n’entendait pas non plus Vikita qui lui criait son nom. Il était pris au piège. C’était un piège. Quand il comprit que ses poings ne seraient pas suffisants pour sortir, Nick se jeta avec désespoir contre la tôle. Il se projeta inlassablement contre les murs pour échapper à l’oppression qui occupait son cœur, mais celle-ci ne fit que se renforcer de seconde en seconde.

Il s’arrêta soudainement quand le froid l’envahit. Ses os étaient brisés. Le sang coulait abondamment devant ses yeux. Pourtant, il ne ressentait que le froid. Il soupira, et de la buée se forma de ses lèvres. Nick eut à peine le temps de se demander pourquoi tout d’un coup l’atmosphère s’était transformée qu’il sentit une présence dans son dos. Il y avait quelque chose. Il ne voulait pas se retourner. Il ne le voulait vraiment pas. Pourtant, avec horreur, il le fit.


Vikita pleurait. Elle avait essayé d’appeler Nick, de le raisonner, mais il avait continué à se mutiler contre les murs. Elle avait vu des gerbes de sang s’éclater contre les parois. La jeune femme avait fini par fermer ses paupières et s’était cachée dans un recoin. Elle tremblait en attendant que ce cauchemar s’arrête. Elle crut pendant quelques secondes que son vœu avait été exaucé lorsque les bruits et les cris stoppèrent. Elle resta un long moment immobile, n’osant pas réouvrir les yeux. Vik finit par se rendre à l’évidence, elle devait faire face à la réalité. Elle appela doucement Nick, puis ouvrit ses paupières. Elle chercha son copain du regard, observant du coin de l’œil le sang sur les murs. Elle insista, criant le prénom de son petit-ami, puisqu’il n’était pas dans les parages. Elle marcha quelque temps hébétée, ne sachant pas où aller ni que faire. Elle tomba sur un panneau des transmissions et engagea le bouton, peu sûre d’elle :
— Nick, t’es où ?
— Tu avais raison Vik.
Ses muscles se détendirent car c’était la voix de Nick qui grésillait dans les enceintes.
— C’était un piège…
Vik écarquilla les yeux. Elle sentit des gouttes de sueur lui glisser lentement dans le dos. Vik retint son souffle.
— Ils sont là, ils sont tous là, ils en veulent à mon corps de rêve. Aide-moi !
La voix de son amoureux la narguait depuis les enceintes du vaisseau. Il plaisantait… Elle serra les poings et mordit sa joue. Elle sentit un léger goût ferreux dans sa bouche.
— Nick !
Elle hurla dans le couloir pour faire retomber la pression, puis se mit à courir pour le chercher. Ses pensées se bousculaient : était-ce une blague de sa part ? Pourtant, elle l’avait vu se mutiler contre la coque du vaisseau quelques minutes plus tôt, alors en proie à une folie furieuse. Ses larmes montèrent de nouveau à ses yeux : s’il s’agissait d’un canular, cette fois-ci, elle ne pourrait pas lui pardonner. Elle courra dans les couloirs en criant le prénom de ses camarades. Seule la voix de Katia dans les haut-parleurs lui répondit :

– Rendez-vous sans résistance et il n’y aura pas de blessés.

Elle gémit lentement en entendant la voix de Katia résonner dans le vaisseau vide. Elle continua à arpenter les couloirs. Elle trouva le hangar désert, si ce n’est la boîte si particulière qu’elle avait découverte avec Andreï. La pièce semblait inhabitée, mais elle n’osa pas faire un bruit. Le Russe ne donnait aucun signe de vie et elle partit avec hâte de cet espace oppressant.

Elle devait au moins retrouver Katia dans le quartier de l’équipage. Elle voulait la rejoindre, être rassurée. Vik se raccrocha à cet espoir. Les crépitements recommencèrent et c’est sa voix qu’elle reconnut :
— Ici le Chuzhak nous avons reçu votre message de détresse.
Elle se mit à courir au hasard, posant ses mains sur ses oreilles.
— Il y a quelqu’un à bord ?
Elle devait rêver.
— Il y a quelqu’un à bord ?
C’était un cauchemar.
— Il y a quelqu’un à bord ?
Elle hurla le nom de Katia.
— Il y a quelqu’un à bord ?
Non.
— Il y a quelqu’un à bord ?
Non…

Elle déboula dans la salle de pilotage en catastrophe. Sa voix résonnait encore dans les enceintes, ou alors était-ce dans sa tête ? Elle ne comprenait plus ce qui était de l’ordre de la réalité ou non. Elle courut vers les communications centrales et appuya sur le bouton pour lancer un appel de détresse, ses sanglots mangeaient la moitié de ses mots :
— Pitié, venez me chercher… Pitié… Pitié. Ne me laissez pas seule !
Elle ne savait même pas si son message s’envoyait ou non, elle répéta ses paroles en boucle. Soudain, ses yeux se baissèrent sur une photographie. Elle s’arrêta net pour l’attraper. Elle détailla les visages de ces personnes. Vikita se demanda avec incompréhension comment ce cliché avait pu finir ici.
C’était eux… Leurs visages. Tous les membres du Chuzhak étaient là. Elle se souvenait de cette journée, Katia avait exigé qu’ils prennent une photo pour marquer leur arrivée dans l’équipage. Elle jeta des coups d’œil autour d’elle. Il n’y avait pas grand chose dans la salle de commandement, mais ses yeux s’arrêtèrent sur des images et des plans collés aux murs. Elle avala le peu de salive qu’elle put malgré sa gorge sèche. Elle se précipita sur les panneaux de commande et appuya fébrilement dessus. Le vaisseau n’avait pas bougé depuis douze heures. Elle étudia le plan de vol, puis afficha les caractéristiques. Vikita s’immobilisa. Elle était dans le Chuzhak.

Elle tint ses mains contre son crâne, sentant qu’il allait exploser. Comment était-ce possible ? Viki repensa à tout ce qu’ils avaient fait. Elle en était sûre, ils étaient passé dans un autre vaisseau, comment alors pouvait-elle être dans leur propre salle de commande ? Sauf que tout était identique à leur propre bâtiment… tout, sauf la boîte ! Elle se raccrocha à cette pensée. La boîte ! La boîte lui permettait de donner un sens à tout ça. Elle était persuadée que la boîte n’était pas dans le Chuzhak quand ils étaient partis. Elle n’était pas là ! Ou l’était-elle ? Depuis combien de temps n’était-elle pas allée vérifier le hangar ? Son angoisse passa à un stade supérieur quand elle comprit qu’elle ne pouvait pas faire confiance à sa mémoire.

Elle ne savait pas depuis combien de temps elle tremblait. Tout d’un coup, l’atmosphère se mit à changer. Sa gorge se serra d’angoisse. Il y avait quelque chose. Des larmes d’effroi coulèrent sur ses joues sans qu’elle ne puisse les retenir. Une évidence vint la frapper un instant. Chaque poil de son corps se dressa sur sa peau comme s’il voulait s’échapper. Elle contint sa respiration. Elle ne voulait pas se retourner.
La pression était omniprésente, le haut de son crâne se mit à fourmiller, c’était tellement prenant qu’elle aurait pu s’éclater la tête contre le tableau de bord. Elle ne bougea pas, oubliant même d’exhaler. Pars. Pars… Sa pensée se perdit, lorsqu’elle ne réussit plus à bloquer sa respiration, elle souffla avec lenteur, de la buée se formant sous son nez. Pars ! La pression sur ses épaules s’accentua, la goutte de sueur qui coula sur sa nuque fut la dernière chose qu’elle remarqua.


— Nick ?
Sa voix tremblait. Vikita déglutit, elle sentait les battements de son cœur s’accélérer. Elle se retint quelques secondes avant de craquer et de réitérer son appel. Elle appuya avec force sur le bouton des communications puis s’exprima de la façon la plus autoritaire qu’elle put malgré son angoisse latente :
— Nick, tu peux arrêter de faire l’idiot et répondre steuplaît ?
Silence radio.

Notes de l'auteur