Écrits et nouvelles
Antoninus
22/06/2021
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Auteur
DamienVoici qu’arrive la fin de l’année ; l’activité du groupe est réduite, les esprits vagabondent à l’idée de profiter sous peu d’un repos bien mérité. Les discussions vont bon train pour savoir qui préférera la mer, qui la campagne, qui la montagne, qui un bon livre, qui du bricolage… à la mer, la campagne ou à la montagne.
L’ancien du groupe, tirant sur sa pipe, pince-sans-rire, commente la situation politique, socio-économique de la ville, du pays, du monde. Passionnant et complexe, cultivé, il allie royalisme inavoué, républicain dans l’âme, et athéisme assumé en recherche spirituelle. Le plus jeune, bien qu’âgé d’une quarantaine, trie sa collection de cartes qu’il indique être magiques, mais sans doute certains d’entre nous n’ont jamais bien compris le sens de ce mot !? Le troisième est tout occupé à ses pensées sous-marines, passionné de plongée et de traversées des océans sur le vieux gréement familial.
L’année s’est bien passée et le repos est donc mérité.
Hors ces discussions animées, l’imaginaire produit moult scénarios que suscitent les congés vécus au fil des précédentes vacances et des souvenirs qu’elles ont laissés, d’autant que la mémoire sélectionne et filtre avec bonheur pour ne retenir que ce qui était favorable, ne manquant pas d’embellir certains faits, sans aucun doute.
« Le groupe, au travail ! » Direction le Rhône et son barrage au sud de Lyon. Si celui-ci fournit de fait au fil de l’eau une électricité verte que nul écologiste ne songe à contester, il révèle aussi régulièrement au fil de son cours quelques lourds fardeaux, premier barrage au sud de Lyon. Et comme souvent, il s’agit ici d’un cadavre.
Un cadavre ? Pourquoi donc déranger cette fine équipe de limiers sur le point de partir en congés ? Il y a tant de malheureux désespérés qui, fatigués des lourdeurs de la vie, ont alors préféré finir leurs jours en se jetant dans ce fleuve aussi majestueux que tumultueux. Ils viennent parfois de loin, et le fleuve bien peu partageur garde au fil des kilomètres les malheureux dans son flanc. Mais au barrage, il lui faut restituer sa proie et poursuivre seul son voyage vers le sud.
Les enquêteurs locaux ne pourraient-ils donc pas traiter rapidement ce petit dossier et laisser la quintessence de l’investigation policière, dont le génie n’a d’égal que la modestie ressentie et manifestée, comme cela apparaît ici ?
Un désespéré ? Une rapide petite enquête ? Peut-être… Mais pas seulement !
Le pauvre homme est de fait soigneusement emballé dans une surtoile de tente, minutieusement ficelé, tel un bien indigeste rôti que même le Rhône a fini par recracher.
Incontinent, le groupe se rend sur place. Direction le sud, mais pas pour les congés.
Le temps a malheureusement fait son œuvre, amplifiée par un séjour dans l’eau dont nul ne saurait dire la durée.
Même si la vedette du jour se serait bien passée de cette célébrité soudaine, il faut faire moult photos, dessiner des plans, fouiller les alentours. Et, comme toute vedette, il lui faut tout faire pour échapper à la curiosité de la presse. Du moins pour le moment, car les célébrités sont parfois ambiguës dans leur relation à la presse, alternant des mouvements d’attraction – répulsion.
D’habitude, il faut aussi entendre les témoins, ou les habitants des alentours. Mais ici, d’expérience, tous savent que nul n’habite à proximité, hormis quelques bêtes sauvages qui viennent se désaltérer dans le fleuve.
Et depuis que des chevaux tiraient les péniches depuis la rive, les chemins de halage toujours présents sont soigneusement entretenus ; nul ne songerait y construire. D’autant que cela est tout à fait prohibé.
D’aucuns aiment pourtant à s’y promener, ou à vivre l’aventure au fil des jours, cheminant qui à pied, qui à vélo, qui à cheval, parfois plusieurs jours d’affilée.
Par une expression absconse et inexpliquée, la « levée de corps » est effectuée. Il s’agit d’investigations approfondies sur le malheureux. Bien vilain terme pour un corps qui plus jamais ne pourra pourtant se lever.
Bien peu de certitudes ; il s’agit d’un homme, son âge est indéterminé. Point de pièce d’identité, rien dans les poches. La peau est bien abîmée, les empreintes seront-elles exploitables ?
Pas de bijoux ?
Ha si, on découvre soudain sur le col une petite croix métallique, comme celle qu’arborent les prêtres catholiques, depuis qu’elle a remplacé le col romain utilisé depuis le début du XIXe siècle, remplaçant lui-même le rabat utilisé jusqu’au règne de Pie XII.
Ha, peut-être un indice pour l’âge de l’inconnu. Les plus jeunes prêtres ont de fait tendance depuis une dizaine d’années à revenir à la tradition du col romain.
Et, autour du cou, un médaillon au motif aussi particulier qu’inconnu, au contour en bois, représentant une croix potencée avec une croix grecque en partie supérieure ; le reste à l’intérieur en métal représentant une croix de Malte, avec quatre petites croix, tenu par une cordelette en cuir.
Assez pour aujourd’hui, il faut rentrer.
Mais qu’a-t-il donc pu arriver à ce prêtre ? Pourquoi a-t-il été tué, par qui ? Un frisson parcourt le cœur puisqu’il est ainsi trouvé à proximité de Vienne, là même où l’Ordre des Templiers fut dissous par le Concile de Vienne en 1312, Ordre des Templiers entouré de tant de mystère. Voici une nouvelle fois à Vienne une énigme liée à un pèlerin qui cheminait au fil de la rive.
L’autopsie ne révèle rien d’autre que l’innommable : l’homme a été massacré, nombre de ses os sont brisés, jusqu’à son crâne réduit en miettes. Et bien sûr, son ADN n’a maintenant plus de secret pour la science, mais garde pourtant tout son secret pour l’homme, puisqu’il ne correspond à nul prélèvement effectué jusque-là. C’est bien souvent le cas de tous les honnêtes gens qui n’ont jamais été amenés à laisser s’enregistrer dans un fichier bien indiscret tout ce que l’on pourrait révéler de leurs origines généalogiques, géographiques, et de leurs éventuelles pathologies.
L’enquête s’annonce difficile et les éléments bien ténus.
Cet homme, on ne sait qui, a été tué on ne sait comment, on ne sait quand et on ne sait où, on ne sait encore moins pourquoi.
Les vacances qui approchaient s’éloignent maintenant à grands pas, mais justement, les personnes signalées disparues sont peu nombreuses en cette période, et tel diocèse ou tel Ordre n’aurait pas manqué de signaler une disparition inexpliquée ou inquiétante.
Pourtant, personne ne manque à l’appel. Pas de Pasteur disparu dans les rangs ecclésiaux pour ce porteur de l’Agneau.
Le deuil des vacances fait, il faut maintenant se creuser les méninges et trouver des pistes d’enquête. Faute de mieux, il faudra faire avec les rares et seules certitudes acquises à ce jour : un prêtre, son médaillon et « sa » toile de tente.
Puisqu’il est trouvé ligoté dans une surtoile de tente, et dans le Rhône, on peut présumer qu’il campait en bord de fleuve.
Un créneau est libre, l’hélicoptère de la Sécurité Civile est disponible. Direction l’aérodrome ; décollage.
Il y a du vent, et ce n’est pas tous les jours que les pilotes se font auxiliaires de police. Faisons vite, faisons bien ! Recherchons des traces de tente, en remontant en amont du fleuve. Et impressionnons le novice qui a pris place dans l’aéronef. Un coup au bout d’un bras du Rhône à gauche, un coup dans un autre bras à droite, puis demi-tour en piqué, non sans avoir levé du nez avant de se laisser tomber dans un demi-tour aventureux. Une ligne haute tension à l’horizon ? Nul ne peut passer dessous, sauf cet appareil-là, rouge et jaune, et ses acolytes, bleus.
Vroum, on est passé, le passager ayant juste fermé les yeux.
Ayant omis de manger correctement avant de partir, le sandwich trop vite avalé commence à se rappeler à son bon souvenir.
Le co-pilote n’obtient plus de réponse à ses questions ? Petit coup d’œil à l’arrière, puis coup de coude au pilote, avec un sourire aux lèvres ; « Il faut descendre ; et vite » dit-il.
Le vol se fait maintenant sur Lyon, 30 km au nord de Vienne. Sous la bête volante, un stade de foot. Descente rapide et soulagement du passager qui s’allège de l’indélicat sandwich, sous le regard médusé des 22 joueurs qui s’étaient écartés, voyant l’animal de fer fondre sur leur terrain, avant de reprendre derechef son envol.
Vers Mâcon, il faut se rendre à l’évidence : point de reste de campement ni de tente abandonnée.
Cette première piste est vaine, au moins pour le moment.
Ne reste plus que ce médaillon. Saura-t-il nous en faire savoir plus sur son pasteur ?
Le pèlerinage d’abbayes en monastères, la consultation d’érudits en signes et symboles liturgiques, la lecture d’ouvrages spécialisés en bibliothèques, seront-ils d’un grand secours ? C’est un, deux puis dix couvents qui sont visités. Le sachet du scellé, contenant ce bijou en bois, est présenté en tous ces lieux visités et tous ces sachants consultés.
Qui saura en dire plus sur sa provenance, sa symbolique ? Mieux, sur son détenteur ?
Il est trouvé un spécialiste en ornements religieux pour le diocèse de Lyon. L’objet est déclaré surprenant, peu compatible avec une croix catholique romaine ; peut-être plutôt de rite chétien oriental ?
Au fil des jours, les visites s’étendent aux monastères plus lointains. C’est aujourd’hui la Communauté œcuménique de Taizé qui est visitée. Le frère consulté, qui n’avait conservé de son patronyme à particule que son prénom en religion, ne peut guère nous aider et ne voit pas de signification au collier mystérieux.
Midi, l’heure de la prière, avec ses milliers de jeunes réunis sur la colline priante. Puis viendra l’heure de se sustenter.
Viendra l’heure de rentrer, bredouille, une nouvelle fois.
Soudain, accourant au loin, la bure tenue d’une main pour ne pas trébucher, secouant une feuille de l’autre, le moine, qui a miraculeusement retrouvé son visiteur parmi la foule, indique tout haletant avoir repensé, durant l’office, à un courrier reçu. En creux, gratté avec un ongle, apparaît un logo. Placé sur le médaillon, c’est bien cela, cet ensemble de croix si caractéristique.
Voilà qui fera mentir ceux qui pensent que les moines ne servent à rien !?
Ce courrier fut adressé par un pèlerin habitué des lieux, régulier visiteur de la Communauté. Un prêtre anglais bénédictin en rupture avec son Ordre. Un prêtre un peu bizarre, mais un prêtre, en route pour Jérusalem. Et très lié à une autre abbaye, en Ardèche.
Il est signé « Brother Antoninus OSB». OSB pour Ordre de Saint Benoît.
Il était pris connaissance du contenu du courrier, dont le frère relevait un caractère un peu diffus, révélant un caractère tendre mais instable et un peu coupé de la réalité du correspondant.
L’Ordre bénédictain est consulté, nul frère britannique Antoninus n’y est connu ni recensé. Occasion d’apprendre toutefois qu’existe une branche marginale bénédictine, les Oblats gyrovagues, appelés à circuler dans le monde, à vélo, hors la vie monastique habituellement applicable aux frères de l’Ordre.
Le Supérieur de l’abbaye ardéchoise évoquée à Taizé le confirme, ce « prêtre », hôte régulier cinq ou six fois par an depuis plusieurs années, est bien connu, même s’il ne fait aucun doute là-bas qu’il n’est pas prêtre. Mais c’est un homme sincère, aux obsessions mystiques, fidèle à sa Foi autant qu’à ses compagnes en verre au contenu envahissant et grisant. Il a postulé pour être reçu à l’Abbaye. Il lui a été dit qu’il n’était point temps pour lui, intempérant, de s’engager ici, mais qu’il y serait toujours le bien venu. Il veut, mais ne pourra faire ses vœux.
Certes, durant les offices, s’il était trop grisé et se mettait à chanter trop fortement, et pas seulement psaumes et Cantique, il était alors invité à se reposer un peu avant de partager les temps de la Communauté.
Partageant des confidences avec les frères, il avait indiqué effectuer ce pélerinage à vélo en direction de la Terre Sainte, dans une démarche de repentance et de pénitence, car il avait, disait-il, des choses à se faire pardonner.
L’homme était Anglais, et cheminait à vélo, avec une petite carriole attelée, dans laquelle il trimballait… sa tente.
La coopération internationale permettait d’apprendre sans aucune perfidie auprès des autorités d’Albion que le malheureux avait là-bas un patronyme que l’exploitation de ses empreintes digitales pourtant bien dégradées révélait, puisqu’il avait apposé ses doigts sur le document ad’hoc et laissé une photo de lui après qu’il eut un jour peint les vaches de son employeur avec de la peinture verte, sans que l’on sache l’origine du contentieux, s’il était personnel ou lié à un certain degré d’alcoolisation.
Qui aurait imaginé avant les congés d’été ainsi obtenir son nom ?
L’inconnu avait maintenant une identité, et même un visage.
Restait à savoir quand et comment il avait été tué.
Et surtout bien sûr, pourquoi ?
La rubrique des chiens écrasés a souvent la préférence des lecteurs. Un appel à témoin est diffusé dans la presse locale ; cela ne se fait pas toujours vainement. La vedette reprend ses droits.
Des avis de recherche sont diffusés à tous les services de police et gendarmerie de la Région, des articles sont publiés dans les revues diocésaines iséroise, lyonnaise et de Saône et Loire. Les campings du secteur sont tous visités, les services des objets trouvés et les polices municipales contactés.
Un personnel administratif, dont on ignore souvent le rôle pivot, assurant une veille permanente, chaque jour de l’année, reçoit puis transfère un appel téléphonique.
L’homme gémit, se plaint et se mortifie. Mais un sursaut d’humanité lui impose de surmonter sa peur et de s’apprêter à rejoindre sa cellule terne où il mangera son pain dur. Il est en pleurs. Il lui faut faire face et expier sa faute.
Ayant lu l’avis de recherche publié dans la presse, concernant un homme circulant en vélo avec une carriole dans la vallée du Rhône, il veut passer aux aveux.
Il est pêcheur et s’en repend. Occupé à sa Passion, quelques semaines auparavant, avant les vacances, il a trouvé un vélo immergé dans le Rhône. En assez bon état, avec une petite boule d’attelage à l’arrière de la selle ; il était là depuis peu de temps. Rien à voir avec les vélo’v et autres trottinettes qui s’entassent au fond des fleuves et rivières du fait de dégénérés en mal d’occupation et n’ayant pas assimilé qu’un vélo servait à pédaler, puisqu’il était lui entre Lyon et Vienne, sous le viaduc de l’autoroute qui mène à Saint-Étienne.
Et ce vélo, il l’a récupéré. Il s’en repent, et le regrette, loin d’assimiler que c’est grâce à lui qu’était identifié le lieu du meurtre.
Une fois légitimement rassuré, et alors qu’il avait assimilé avoir de fait récupéré un res nullius, dont il se dessaisissait et qui était saisi, et que rien ne pouvait lui être reproché, il mène sur les lieux de sa trouvaille.
Les plongeurs plongeaient, plongeaient, mais comme les shadocks, rien n’arrivait.
Peu d’indices sur place. Mais une fois encore, qui aurait présumé quelques semaines plus tôt que le lieu du crime serait localisé ?
Il fait beau, la journée n’est pas finie. Et comme ce viaduc est imposant, vu de dessous ! Mais qu’apparaît-il au loin ? Une échelle, qui permet d’accéder au pilier latéral. La visite est tentante. Pourquoi ne pas imiter le fils d’un membre du groupe, habitué à taquiner l’interdit, montant sur des grues, escaladant des façades d’immeubles, sondant les égouts et autres galeries souterraines ?
Qui imagine que sous une chaussée d’autoroute, dans un viaduc, existe une galerie immense, cathédrale en béton des temps modernes dédiée au Dieu Auto ? Une fois éclairée par des torches semblant bien dérisoires, un bidon apparaît, caché là. Ramené au sol, son contenu est vidé. Des vêtements consumés apparaissent, une monture d’une paire de lunettes calcinée se révèle. Les mêmes lunettes que celles de la photo britannique de « brother Antoninus ». Et tout un ensemble de petits objets hétéroclites de la vie quotidienne, calcinés aussi. Pas de doute, le contenu de la charrette, du moins ce qu’il en reste, apparaît ici.
Il se trouve aussi quelques articles de presse et vieux livres déchiquetés, rédigés en allemand. Les lieux sont manifestement maintenant abandonnés.
Pourquoi donc cet incendie de biens si ténus ? Quid de la charrette ?
Surgit alors de nulle part une joggeuse qui s’enquiert de la présence inhabituelle de ce groupe en ce lieu habituellement moins fréquenté. Justement, dit-elle, se trouvait ici quelques semaines plus tôt un campement de ce qu’elle pensait être des hères lors de ses réguliers exercices physiques. Trois hommes le fréquentaient, un Anglais et deux Allemands, avec un vélo et sa remorque.
L’avis de recherche du journal produit un second effet. Il se dit que les journaux papier sont condamnés à terme par les sites internet, sans doute plus variés et à la diversité de pensée plus évidente. Le lecteur amateur du contact avec son papier sera-t-il bien à terme un lecteur sur un support informatique ? Espérons-le, car l’humble mamie à l’autre bout du fil indique ici que deux clochards teutons s’occupent depuis quelques semaines à quémander nourriture, et surtout boissons, aux portes d’une supérette de Givors, … de l’autre côté du pont, avec l’autoroute qui mène à Saint-Étienne, puis Clermont-Ferrand. Et ils utilisent depuis quelques semaines une charrette, avec une petite boule d’attelage, qu’ils tirent pourtant à la main.
Quelques explications se révèlent indispensables, et il convient de partager quarante-huit heures de vie commune avec ces Allemands. Il est des hôtels que certains n’aiment fréquenter lorsqu’il s’agit d’hôtels de police.
Faisant toujours la manche devant le commerce, c’est maintenant manches relevées que leur sont passés de bien peu délicat bracelets métalliques dont seuls les limiers détiennent la clé.
Quarante-huit heures de monde misérable, Zola n’aurait manqué de trouver ici l’inspiration pour une nouvelle œuvre qu’il laisserait à la postérité.
Nuit et jour la discussion se poursuit, pleine d’incompréhension et de mensonges dont nul ne sait jamais s’ils sont feints ou sincères.
Pour les uns, la faim se fait sentir ; pour les autres, la soif. Il convient de satisfaire les uns et les autres, malgré l’incongruité de la situation et l’interdiction officielle. Si les uns sont habituellement gourmands et gourmets, les autres sont invétérés, puisque ce sont quotidiennement cinq litres de boissons houblonnées qui sont régulièrement englouties.
C’est avec ce médicament peu conforme à la pharmacopée traditionnelle que la vérité se fait jour.
Malicieusement, secouant du bout des doigts une nouvelle bouteille, les faits se révèlent.
Après moult libations, et alors qu’ils partageaient le même logement sous le pont, une dette de boissons se faisait jour. 50 €. Paraît-il. Et voilà que l’Anglais dirait du bien d’un certain Adolf, ce qui contrarierait les Germains. Ivresse mauvaise muse, pierres à proximité, pelle de bricolage, les coups pleuvent. Pleuvent encore, pleuvent toujours. Une vieille voiture a été récupérée ces jours-ci et se trouve à proximité ; l’Anglais y est accroché puis tiré sur le chemin de halage.
Le prêtre rend l’âme.
On se débarrasse du corps en le livrant aux flots. Qui se souciera de la disparition du compère ?
Pour plus de discrétion, le malheureux est saucissonné dans un morceau de la toile de sa tente. Le tout est jeté au fleuve. Qui penserait qu’il remonterait un jour ? Alors que justement, tôt ou tard, les flots finissent toujours par faire remonter à la surface ces lourds fardeaux malheureux.
Épilogue : « Le groupe, au travail ! Convocation » ; antibiotiques pour tous, pour quelques jours. Les vagabonds allemands retrouvant en détention une hygiène de vie améliorée et oubliée de longue date se révèlent être porteurs de tuberculose, à un stade fort avancé pour l’un des deux. Voici donc que par le décès d’un faux ecclésiastique ici-bas ils échappent à l’accès là-haut.
Qui l’aurait imaginé avant les congés d’été ?
Le téléphone tinte ; voici en ligne le Supérieur de l’abbaye ardéchoise, avisé que la Lumière luit maintenant sur l’énigme résolue. Que deviendra donc la dépouille de « brother Antoninus », s’enquiert-il ? Rien sans doute, qui la réclamerait ?
« Nous » dit-il.
« Il a postulé, il a sa place. Il rejoindra les frères au cimetière de l’abbaye » !